• Even Dead Things feel your love - de Mathieu Guibé -

    Résumé : Au terme de votre vie, à combien estimez-vous le nombre de minutes au cours desquelles vous avez commis une erreur irréparable ? De celle dont les conséquences régissent d’une douloureuse tyrannie vos agissements futurs jusqu’au trépas. Mon acte manqué ne dura pas plus d’une fraction de seconde et pourtant ma mémoire fracturée me renvoie sans cesse à cet instant précis tandis que la course du temps poursuit son inaltérable marche, m’éloignant toujours un peu plus de ce que j’ai perdu ce jour-là. Je me demande si notre dernière heure venue, les remords s’effacent, nous délestant ainsi d’un bagage bien lourd vers l’au-delà ou le néant, peu importe. Puis je me souviens alors qu’il s’agit là d’une délivrance qui m’est interdite, condamné à porter sur mes épaules ce fardeau à travers les âges, à moi qui suis immortel.

    L’amour ne devrait jamais être éternel, car nul ne pourrait endurer tant de douleur.

     

    Ne vous fiez pas au titre, c’est bien un écrivain français qui est à l’origine de ce récit à quatre temps. Et quelle magnifique plume que celle de Mathieu Guibé, qui a su écrire un récit qui semble s’inspirer des grands auteurs romantiques du XIXème siècle et est nimbé d’une atmosphère gothique.

    Lord Josiah Scarcewillow appartient à la race des damnés, c’est un non-mort, un vampire, et le terme est approprié puisque l’histoire se déroule à l’époque victorienne. Sombre, mystérieux et solitaire, il me fait aussi penser, pour donner une référence moderne, à un mélange entre Louis et Lestat, les deux vampires « fétiches » d’Anne Rice.
    Il ne cache pas sa noirceur, ne se voile pas la face sur sa véritable nature. Il est un prédateur et ne l’entend pas autrement. Un jour, lassé de la ville alors en plein changement (l’ère industrielle commence à pointer à l’horizon), il revient sur ses terres dans la campagne anglaise. Là-bas, il croise la route d’Abigale, une jeune aristocrate qui va réveiller en lui des sentiments qu’il pensait morts avec lui.

    C’est un roman dans la pure tradition romantique, chose assez étonnante à dire pour parler d’un roman écrit au XXIème siècle. Mais j’y ai effectivement retrouvé quelques uns des gros thèmes chers aux romantiques comme Byron pour l’Angleterre, ou Musset pour nous.
    Even the dead things feel your love, c’est l’histoire d’un amour sombre et bouleversant, d’un amour impossible et tragique. Une véritable passion va naître, pour laquelle Josiah est prêt à tout, même à mourir. L’évolution de leur histoire va prendre un tournant inattendu et très rapidement, le ton est donné. A partir de cet instant, je n’ai pas pu lâcher le livre avant d’en avoir tourné la dernière page.
    Even the dead things feel your love, c’est aussi l’expression du mal être, celui de Josiah, qui semble atteint de ce « mal du siècle » qui a fait des ravages dans les rangs des romantiques mais a permis la naissance des écrits les plus inspirés. Les années ont passé et passent encore, Lord Scarcewillow se retrouve peu à peu face à un monde qui évolue à toute vitesse et il a l’impression de ne plus être adapté à cette société qui progressivement, s’industrialise. Il est nostalgique d’un autre temps. Si je voulais vraiment creuser l’aspect romantique du roman (ce que je vais faire, je m’excuse d’avance pour mon analyse peut-être trop littéraire), je dirais que Josiah porte un regard plutôt critique de la société urbaine et préfère donc se tourner vers la beauté de la nature, avec laquelle il se sent plus proche.
    C’est aussi la solitude de l’âme. Et dans le cas présent, la solitude du vampire, thème mainte fois exploité par les grands noms de la littérature vampirique (Stoker ou Rice, pour ne citer qu’eux), qui est finalement devenue, avec le temps, indissociable des créatures de la nuit.

    A mon sens – mais ce n’est peut-être que mon ressenti personnel – Mathieu Guibé a su faire revivre l’esprit romantique. Car Josiah est à l'image (toujours pour moi) du pur héros romantique, le héros tragique, l’amoureux malchanceux. Et le romantisme, comme à l’époque, flirt parfois avec le gothique (Bram Stoker toujours, ou encore Shelley ou Polidori), puisque Josiah est aussi un monstre, un meurtrier, un prédateur capable d’une extrême froideur. Quelqu’un qui, malgré son mal-être – peut-être dernier vestige de son humanité – est pourtant prêt à tout pour survivre, l’apanage des prédateurs sans doute. S’il est vrai qu’il éprouve un amour (destructeur) pour Abigale, elle reste la seule personne qui semble capable d’éveiller en lui ce qui peut s’approcher de l’humanité. Des autres mortels il fait peu de cas. Et loin d’elle, pour elle aussi parfois, il commet les pires atrocités et laisse libre cours à sa bestialité.

    Dramatique, mystérieux, onirique aussi par instants, terrifiant et tragique.
    Le roman de Mathieu Guibé nous fait témoin d'une passion destructrice empreint de nostalgie.

    Je le recommande à tous les romantiques des temps modernes.


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